Premières lignes #40

Les mots étaient flous et indistincts. Depuis plus d’une heure, ils jouaient à s’emmêler et à se battre dans mon esprit si peu concentré. Assise à même le sol froid de ma chambre, je relisais pour la centième fois le même livre. Les écrits de Tolstoï ne parvenaient pas à m’intéresser aujourd’hui, alors qu’ils m’avaient permis de m’évader tant de fois.

J’étais reconnaissante envers ces quelques auteurs que je connaissais de m’avoir fait quitter ma vie. Leur plume avait le don de me faire m’envoler loin de cette maison, en une bouffée d’air frais bienvenue, même si éphémère.  Il m’arrivait aussi de les envier. Énormément. Parce qu’ils avaient suffisamment découvert le monde pour en parler.

Ce qui n’était pas mon cas.

Je reposai le livre sur mon bureau et m’étirai. En moi, je sentis ma louve s’impatienter. Elle avait envie de sortir, de courir, de chasser. Je ne pourrais pas la laisser libre avant plusieurs heures, et déjà je savais que cette journée allait être interminable d’ennui. Comme tant d’autres.

Je soupirai. Du rez-de-chaussée me parvinrent les voix de Nadia et Zora, qui discutaient gaiement en préparant le déjeuner. Leurs éclats de rire percutaient de plein fouet le silence abandonné de ma chambre.

Peu importe.